Romeo, le prince charmant, est resté immobile pendant presque une heure en regardant la belle Isabelle travailler sur sa vielle machine à écrire, il fallait ne pas la déranger, il sait très bien l’importance d’être concentré sur une tache. Il est seulement parti une fois qu’elle a réalisé qu’il était là, et lui a donné, comme d’habitude, un morceau de fromage.
Il se demande encore comment Isabelle sait que le fromage est son repas préféré. Ce que Romeo ne sait pas est qu’Isabelle l’avait deviné sur l’île d’en face de sa ville de naissance, où elle partait régulièrement à la recherche d’un refuge pour s’échapper du bruit. Dans son île adorée elle a écrit ce qu’il allait devenir, et ne soupçonnait pas encore, un livre de contes pour enfants énormément célèbre. Mais surtout c’est dans cette ile qu’elle recevait la visite inconditionnelle de Giulli. Isabelle restait toujours fascinée par son regard profond et figé. Pas un clignement d’œil. Elle aimait la compagnie de Giulli. C’est pour attirer son attention qu’elle a demandé au vieux Oliverio, la seule personne qui habitait l’ile à dix kilomètres à la ronde, ce que Guilli aimait bien manger. Oliverio est, vous l’avez deviné peut-être, pêcheur. Quoi d’autre, à part écrivain, pouvait-on bien être dans ce coin oublié du monde. Oliverio était enchanté de recevoir la visite d’Isabelle et de l’accueillir dans sa modeste cabane. Isabelle était très attentionnée avec lui et lui amenait toujours des vêtements et un peu de nourriture. Mais le plus important, elle était là, avec sa bonne humeur, ses longs silences accompagnés par le clic clic presque sans interruption de sa machine à écrire. Oliverio appréciait énormément sa compagnie. Et oui, Giulli, à la grande surprise d’Isabelle adorait le fromage. Quand Isabelle a vu Romeo caché dans le jardin, l’épiant discrètement ce jour de pluie, elle a eu un flash dans sa tête, un retour au passé, les souvenirs de son île, Oliverio et Giulli sont venus instantanément la visiter dans sa mémoire. Elle a pensé qu’elle devait prévoir du fromage pour la prochaine fois. Elle était sure, et elle ne saura jamais pourquoi, peut-être la ressemblance de leur regards intenses, que ça allait plaire à Romeo.
Romeo avait connu Isabelle tard un après-midi quand il se promenait tranquille dans le jardin. Quand il l’a vue il est tombé instantanément sous son charme. Quelle créature magnifique, s’est-il dit. Il se demandait ce qu’elle pouvait bien faire, assise sur les marches des escaliers juste devant l’entrée principale de la maison, presque déjà toute trempée avec cette petite pluie qui tombait depuis quelques heures et qui finissait, avec un peu de patience, par tout mouiller. Elle pouvait évidemment se décaler de quelques mètres pour se mettre à l’abri, mais non, elle était là. Et c’est comme ça que le grand amour a commencé. Il s’est assis, un peu à l’écart, pour ne pas la déranger. C’était fou, il avait trouvé un ange qui aimait la pluie comme lui.
Comme Giulli, Romeo était toujours près d’elle pendant ses longues heures de rêveries et pensées envolées devant sa machine à écrire muette. Elle savait qu’elle devait la remplacer depuis pas mal de temps, mais elle s’obstinait à ne pas le faire malgré les quelques touches un peu rouillées qu’elle devait démêler trop souvent pour continuer à écrire. Manies de vieille, de vieille un peu folle et rêveuse se disait-elle.
Un soir Isabelle était un peu ailleurs, ça lui arrive souvent quand elle réfléchit à des nouvelles idées pour écrire. Elle cherchait Romeo dans la pénombre, elle avait amené quelques morceaux de fromage. Mais il n’est pas venu. D’un coup elle a réalisé où il pourrait être. Elle est partie au petit ruisseau qui coulait près de la maison. Comme Romeo, elle aimait bien regarder la lune s’y refléter, ondulante, sur les eaux du ruisseau caressées par la brise d’été. Elle a écouté les chants des grenouilles, Romeo devait être surement par-là, elle a même reconnu son coassement. Elle s’est souvenue aussi de Guilli, le grand iguane de son île de jeunesse. Elle est vite revenue à la maison, elle s’est mise à taper sur sa vielle machine. Le conte va s’appeler Romeo, le prince charmant.