Le pays du café

En fin de comptes les journées ici ne sont pas si courtes. On dit que le soleil se lève à dix heures et se couche à treize heures trente dans ses journées les plus courtes, mais même avant neuf heures on peut voir déjà la lumière du jour et apercevoir comment la ville se réveille doucement. Les bâtiments s’étirent, les rues se déplient, les cygnes du lac défilent, les phares des voitures s’éteignent.
Marisa peigne ses longs cheveux noirs et les attache avec un ruban très coloré dessinant une longue tresse. Elle détonne quand elle marche dans la rue. Mince, petite, avec ses sandales en laine colorées qu’elle-même a tricoté et ses cheveux noir ébène. Quand elle se promène, les autres filles la dépassent de plus de quarante centimètres. Elles sont plutôt bien servies en rondeurs sans être grosses et surtout leurs cheveux sont aussi longs que les siens mais tellement blonds. Tellement blonds qu’ils semblent argentés. On dirait une prolongation de leur peau, si pâle, si lisse. Parfois Marisa se demande si c’est la vraie couleur ou de la teinture. Mais si c’est de la teinture qu’il s’agit les coiffeurs doivent avoir une palette de teintes blondes en accord à la peau de la clientèle.

Marisa est arrivée dans le Nord, comme elle aimait dire, à l’époque de Noël. Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, il n’y avait pas de neige. On lui avait dit qu’elle ne devait pas se faire de soucis, qu’il ne faisait pas si froid même en plein hiver. Mais elle avait eu du mal à y croire. Avec les pays du Nord on ne sait jamais.  Après tout qu’est-ce qu’elle pouvait savoir du Nord et du froid, difficile de faire la différence de saisons chez elle.
Elle est arrivée dans le Nord pour travailler dans un fast-food. Un ami de son grand-oncle était parti à la recherche d’une vie meilleure dans le Nord et on pourrait dire qu’il avait réussi. Il était enfin arrivé à ouvrir son propre fast-food après avoir travaillé plus de dix ans comme employé dans un magasin de chaussures. Marisa se dit que la vie est pleine de surprises.  La preuve, elle qui attendait d’être un peu plus grande pour se marier et cesser d’être une autre bouche à nourrir pour sa mère, voilà qu’elle était partie aussi pour le Nord.  Sa mère a trouvé que c’était une bonne idée.  Marisa allait chez José, l’ami de son oncle, elle allait travailler avec lui et elle pourrait lui envoyer un peu de sous pour l’aider. Mère de huit enfants, son mari parti, la vie n’avait pas été très sympa avec elle. En plus, c’était sûrement mieux pour Marisa de partir et essayer de trouver une autre vie et pas la même qu’elle, obligée de se marier si jeune.

Marisa se rappelle les premières semaines dans le Nord. Elle pense très souvent au jour de la veille de Noël et le jour de Noël. Tout était fermé.  Et quand on dit tout, on dit tout. Même les fast-foods. Elle s’était demandée où allaient manger les touristes, si même les restaurants des hôtels fermaient à 22h. Mais bon, ils n’allaient pas non plus fêter Noël dans un fast-food quand même. Elle a su plus tard que les gens dînent tôt dans le Nord et que même s’ils fêtent Noël ce n’est pas une date aussi importante que dans les pays européens. Chez elle on fêtait Noël à la plage en dansant et en mangeant les fruits que son voisin leur avait gentiment donnés.  Le jour de Noel, avec son grand-oncle José et d’autres employés ils sont allés au centre des sans abri. Ils avaient préparé différents plats pour donner un peu de chaleur aux pauvres. Car il y a aussi des pauvres dans le Nord et ici à Noël il fait froid. Plein de monde venait au centre. Sûrement avec les restes de leurs repas et aussi pour aider à faire une grande soupe.  La soupe de Noël.

Marisa s’est vite habituée aux gens du Nord. Ils sourient pareil quand on sourit.  Ils parlent doucement quand ils réalisent qu’on a du mal à comprendre. Marisa qui avait appris l’anglais rapidement s’est entêtée à apprendre aussi la langue locale. Elle allumait la radio pour pratiquer tous les matins avant d’aller au travail. Elle s’est vite confondue dans le paysage du Nord.

Sa mère lui disait toujours. Tu t’adaptes à tout. Ceci te va bien et son contraire aussi.
Peut-être.  Il y a seulement une chose qui cloche dans le Nord. Rien ne vaut le café de chez elle.